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Sommeil de bébé, endormissement autonome, que disent les études?

Dernière mise à jour : 20 janv.

Le sommeil est une thématique que l’on retrouve très fréquemment dans les réunions de soutien à l’allaitement maternel et dans les consultations de lactation, avec des questions sur les modalités d’endormissement du bébé sans le sein, sur les réveils multiples, et une angoisse par rapport au manque de sommeil, pour la maman et pour le bébé.

En plus d’une fatigue physique et émotionnelle, les parents ont l’impression d’être en échec, « de ne pas y arriver », que leur bébé devrait mieux dormir. Il y a alors la volonté de « trouver une solution » et « résoudre ce problème ».



Sur le thème du sommeil de bébé, je vous invite également à lire cet article sur l'emmaillotage de bébé, et celui sur la sécurité du sommeil partagé et le dormallaitement.

Pour un accompagnement en visio sur la thématique du sommeil de votre bébé, n'hésitez pas à prendre rdv.


bébé qui dort sur le dos, couverture et pyjama blancs
bébé qui dort

L’industrie de la puériculture s’est emparée de cette problématique avec la création d’objets ayant pour fonction de remplacer les parents et de combler le besoin de proximité ou de réconfort du petit mammifère qu’est le bébé humain : le lit cocoon, la balancelle, la bouillotte, la peluche musicale, veilleuse faisant des bruits blancs, …

De même, l'industrie des laits artificiels utilise le manque de sommeil comme un argument marketing (1), laissant croire aux parents que le lait artificiel permet un meilleur sommeil de bébé, et donc des parents. Ainsi des fabricants de lait proposent même des consultations avec des infirmières puéricultrices sur ce thème (2).


On observe également l’apparition de coachs de sommeil pour bébés (3,4). Ceux-ci coachent les parents pour réussir à endormir bébé seul, réussir à avoir des “nuits complètes”.

Ainsi, on peut lire sur un site de coach qu' “Aux alentours de 3 mois, tous les bébés (qu’ils soient nourris au biberon ou allaités), deviennent capables d’enchaîner une fois 5 à 7 heures de sommeil d’affilée avant de se réveiller pour manger ! C’est ce qui s’appelle “faire ses nuits”. Cette évolution est possible grâce à la mise en place de l’horloge circadienne. Les nuits complètes et ininterrompues de 11 ou 12 heures arrivent, elles, entre 4 et 6 mois, suivant les besoins alimentaires de l’enfant, mais surtout en fonction de la fin de la maturation de l’horloge circadienne, indiquant au corps que durant la nuit, tout est au repos (y compris la digestion).”(5).

Les tarifs sont élevés: de 300 à 750 euros pour 2 à 3 semaines de suivi ( 4), tarifs qui montrent vraiment à quel point les parents sont désespérés et à bout, et qui interrogent, surtout lorsque ces professionnels réclament un remboursement par les mutuelles et l’assurance maladie.


En parallèle, un site internet d’information sur le sommeil de l’enfant (6) explique que « nous, parents, devont apprendre à nos enfants à s’endormir de manière autonome » et “S’endormir n’est pas une compétence innée, l’enfant apprend à s’endormir en fonction de son environnement.” Mais il met en garde contre les coachs de sommeil et propose un accompagnement par des psychologues.


Finalement ces méthodes sont celles de l’apprentissage du sommeil (“sleep-training”) (7). Le discours a légèrement changé depuis une dizaine d’année (on parle à présent “d’endormissement autonome”) mais globalement, on retrouve ces suggestions: poser le bébé dans le lit un peu éveillé mais le laisser s’endormir seul, rester dans la chambre sans prendre bébé dans les bras et s’éloigner progressivement, l’extinction plus ou moins progressive (on laisse pleurer bébé un nombre croissant de minutes), avec ou sans les bras. Les coachs enseignent aux parents comment accompagner bébé dans ses émotions et à faire le deuil de sa stratégie d’endormissement actuelle (la présence du parent, le sein, etc).

Certains bébés s’adaptent rapidement, mais d’autres réagissent très mal (pleurs intenses, vomissements, etc).


L’ouvrage Sweet Sleep (8), référence en termes d’information sur le sommeil, mentionne la différence de tempéraments des bébés, qui peut expliquer les différences d’adaptabilité entre les enfants à ces méthodes.


Comme le mentionne un article de la BBC (9) au sujet de ces techniques d’apprentissage, le but principal n’est pas que le bébé ne se réveille plus, c’est qu’il ne réveille plus ses parents et se rendorme seul. L’objectif est donc l’autonomie précoce des bébés pour se rendormir seuls.


Mais les études montrent que ces méthodes ne fonctionnent pas systématiquement, et doivent être répétées plusieurs fois la première année. Par ailleurs les études comparant parents utilisant ces méthodes et parents ne les utilisant pas ont des résultats mitigés : entre pas de différence dans le nombre de réveils, et peu de différence dans la durée de sommeil total des parents.(9)

Se pose la question des biais de ces études où les parents rapportent les durées de sommeil de leur enfant, et peuvent les surévaluer .

Même les chercheurs “pro sleep-training” recommandent de ne pas réaliser ces interventions avant 6 mois, et surtout chez les enfants allaités (en raison de l’impact négatif sur la lactation possible), mais également chez les bébés avec un tempérament anxieux ou sensible ou ayant vécu un traumatisme.(8)

Avant 6 mois ces stratégies n’apportent pas de bénéfice pour diminuer les pleurs ou diminuer le risque de dépression post partum. Les risques associés à ces méthodes sont une augmentation des pleurs, une augmentation de l’anxiété maternelle, une augmentation de risque de mort inattendue du nourrisson si l’enfant est mis à dormir jour ou nuit dans une chambre séparée . (10)


Les bébés auxquels on applique ces méthodes d’apprentissage du sommeil sont- ils stressés?

Certains experts pensent que les bébés sont capables de s’apaiser seuls, que les pleurs au coucher sont juste des émotions de décharge suite à une grosse journée (6) alors que d’autres pensent qu’ils ont renoncé à appeler: ainsi si on mesure le taux de cortisol chez la mère et l’enfant, le taux de cortisol reste élevé chez l’enfant même si il ne signale plus son éveil.(11)


D’autres chercheurs se sont intéressés à l'impact sur la relation d'attachement de ces méthodes , et préconisent d’attendre au moins l’âge d’un an avant d’essayer des techniques de sleep- training. En effet, le bébé humain naît neurologiquement immature, et la partie du cerveau responsable de la régulation des émotions (le pré-cortex) est l’une des dernières parties à devenir mature vers 20 ans. Aussi pendant la petite enfance et notamment de 6 mois à un an, le cerveau a besoin de la « co-régulation » du parent pour se calmer: l’adulte aide l’enfant à se calmer face à un événement stressant. La réponse consistante du parent est associée au développement cognitif, psychosocial et du langage et favorise un attachement sécure.

Le fait de provoquer des situations de stress (pleurs) lorsque l’enfant développe son axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (qui contrôle les réponses au stress) pourrait engendrer à l’âge adulte des risques de difficultés de gestion du stress. (9)


Alors, lorsque l’on parle du sommeil des bébés, il est intéressant de revenir sur la biologie et la « normalité ».

Les experts du Lancet (1) rappellent que le sommeil fragmenté des premiers mois est normal et que les attentes des parents d’avoir un bébé dont les rythmes de sommeil se rapprochent de ceux des adultes est irréaliste. Il mentionne aussi que le fait de prôner un sommeil continu pour un jeune enfant peut être délétère pour l’allaitement.


Le Pr Helen Ball (12), anthropologue spécialisé dans le sommeil du nourrisson et la prévention de la mort inattendue du nourrisson, a réalisé un webinaire très intéressant à ce sujet. Elle a créé le site BASIS (13) d’information sur le sommeil du nourrisson et sur la prévention de la mort inattendue du nourrisson, avec notamment des fiches en français à destination des parents.


Dans un de ces documents on peut lire des informations allant à l’encontre de celles mentionnées par les coachs de sommeil:


Le sommeil est un processus développemental et nos besoins de sommeil changent tout au long de notre existence. Les réveils nocturnes font partie de la norme durant l'enfance, et les bébés en bonne santé se réveillent plusieurs fois par nuit à la fin des cycles de sommeil”. Un schéma montre la grande variabilité des durées de sommeil entre les bébés.

Autre information intéressante 13% des bébés n'ont pas de sommeil régulier de 5h ou plus a la fin de la première année. Certains bébés en parfaite santé continuent à se réveiller plusieurs fois la nuit au-delà des un an.”


Le docteur Pamela Douglas, experte australienne et auteur de nombreux articles (10, 14-18) et d’un ouvrage reprenant cette thématique (19), a développé un programme de formation des professionnels de santé (que j'ai suivi), basé sur l’information autour du sommeil normal des bébés, et sur la régulation de l’horloge circadienne en cas de réveils très fréquents la nuit.


Vous trouverez une interview du Dr Douglas dans cet article du blog, dans lequel elle explique les paramètres permettant cette régulation.


Cette approche (appelée “Possums”, du nom de l’ancienne association dans laquelle elle travaillait lorsqu’elle l’a créée) a été reprise en Angleterre en collaboration avec le Pr Ball, dans le programme « Baby, sleep and you » : il s’agit d’une formation des professionnels de santé sur ce thème.

L’approche du Dr Pamela Douglas est citée par le dernier protocole de l’Academy of breastfeeding medicine (11) comme une approche basée sur les besoins de l’enfant (« cued care ») pouvant améliorer le sommeil des familles.

Cette approche reprend les informations sur le sommeil normal des bébés : il est normal que les bébés se réveillent fréquemment la première année, ces réveils notamment chez le bébé allaité ont un effet protecteur contre la mort inattendue du nourrisson,et il y a une grande variabilité des durées de sommeil entre les enfants: par exemple à 2 mois, entre 9 et 22 h de sommeil par 24 h (10) . En se basant sur les régulateurs biologiques du sommeil, on peut aider à trouver un équilibre familial. En informant les parents, on peut les aider à trouver des stratégies pour dormir plus longtemps.


En conclusion, la biologie nous indique que dormir ne peut pas s’apprendre, c’est une fonction physiologique. Les techniques « d’apprentissage autonome du sommeil » sont remises en question par certains experts du sommeil du nourrisson. Ainsi, le récent protocole de l’ABM déconseille ces techniques d’apprentissage du sommeil avant l’âge d’un an.



Mais bien évidemment, en France, expliquer à une maman d’un bébé de 2,5 mois qu’il est normal que son bébé se réveille la nuit alors qu’elle doit reprendre son travail à temps plein, ne lui est pas d’une grande aide…surtout si en parallèle on lui déconseille de dormir avec son bébé qu’elle allaite.

S’il est important de développer les actions d’information autour des 1000 premiers jours de l’enfant, il est également primordial de soutenir les jeunes parents dans la période périnatale, de leur donner une information claire et reflétant la réalité concernant le sommeil et les méthodes d’apprentissages du sommeil. L’allongement du congé maternité, comme c’est le cas dans d’autres pays, permettrait aux parents de vivre plus sereinement le défi représenté par les réveils normaux des bébés.




Références bibliographiques

  1. Marketing of commercial milk formula: a system to capture parents, communities, science, and policy. Nigel Rollins,et al. 2023 Lancet Breastfeeding Series Group

  2. Laboratoire Gallia. Bébé ne fait pas ses nuits. Disponible ici, consulté le 10/01/2023

  3. Article Slate. Fr. Coachs sommeil pour bébé: miracle pour les uns, arnaque pour les autres. Consulté le 10/01/23 et disponible ici

  4. Article Les Échos. Faire dormir les enfants : le nouveau business des coachs en sommeil. Consulté le 17/02/23 et disponible ici

  5. Site fée dodo . Consulté le 14/02/2023. Disponible ici

  6. Site Sommeilenfant.org. Attention aux arnaques des coachs de sommeil. Disponible ici. Consulté le 28/03/2023

  7. Site Sleepfoundation.org. Sleep training. site Disponible ici. Consulté le 28/03/2023 La

  8. Leche League International et al. Sweet Sleep: Nighttime and Naptime Strategies for the Breastfeeding Family Ed 2014

  9. Ruggeri A. Article de la BBC. Mars 2022.What really happens when babies are left to cry it out. Consulté le 17/02/23 et disponible ici

  10. Douglas P, Hill PS. Behavioral sleep interventions in the first six months of life do not improve outcomes for mothers or infants: a systematic review. J Dev Behav Pediatr. 2013;34:497–507.

  11. Deena Zimmerman et al. ABM Clinical Protocol #37: Physiological Infant Care—Managing Nighttime Breastfeeding in Young Infants.Breastfeeding Medicine 2023 18:3, 159-168

  12. Elise Armoiry, Article IPA. Sommeil « normal » des bébés: retour sur le Webinar de l’anthropologue Helen Ball. Rédigé en 2020, disponible ici

  13. Baby Sleep Information Source. Le sommeil normal de l’enfant. Consulté le 19/01/23 et disponible ici

  14. Pamela Douglas. Interview à la radio sur le sommeil de bébé . Ecouté le 15/01/2023. Disponible ici

  15. Pamela Douglas. Podcast. Can you let your baby sleep whenever they want ? Disponible ici. Consulté le 15/01/2023

  16. Pamela Douglas. Hey baby are you upset because you are overstimulated ? 2021. The Medical republic. Disponible ici. Consulté le 15/01/23

  17. Pamela Douglas. Hey baby, why can’t I put you down for daytime naps ? 2021. The Medical republic. Disponible ici. Consulté le 15/01/23

  18. K. Whittingham et al. Optimizing parent-infant sleep from birth to 6 month : a new paradigm . Infant mental health Journal 1–9 (2014) C 2014

  19. Elise Armoiry. Article de blog . Présentation de l’ouvrage de P Douglas: The little discontented baby book.

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