Halte à la désinformation: Approche basée sur les preuves et allaitement (Évidence-based lactation care)
- Elise Armoiry
- il y a 7 jours
- 6 min de lecture
On parle beaucoup de l'evidence-based Medicine (médecine basée sur les preuves), et la crise du COVID a mis en évidence pour le grand public l'importance d'études fiables et de haut niveau de preuve pour émettre des recommandations de prise en charge en santé. Il ne suffit pas qu'un journal publie une étude scientifique sur un thème pour établir une certitude.
Aujourd'hui le ministère de la santé réalise un colloque sur la désinformation en santé , soulignant la vitesse éclair de transmission de fausses informations sur les réseaux sociaux.
Alors aujourd'hui je vous propose de discuter de l'évidence-based lactation care: l'accompagnement à l'allaitement (et plus largement la périnatalité) basé sur les preuves.
Dans le domaine de l'allaitement il y a beaucoup de mythes et de dogmes qui sont véhiculés, y compris par des professionnels de santé, et qui s'appuient sur des croyances ou des études à bas niveau de preuve.
Dans le domaine de la périnatalité en général, on a un développement d’offres en tout genres, qui promettent des solutions miracles pour résoudre les problèmes des familles. L’information de parents se fait principalement via les réseaux sociaux : des personnes (avec quelle formation? quels enjeux marketings? ) qui émettent en 3 lignes et 4 emojis des affirmations parfois discutables.
Dans ma prise en charge, j'essaye de donner des informations en indiquant le niveau de preuves (quand il y en a). Et je précise toujours si mes recommandations proviennent de sources scientifiques ou de mon expérience clinique.
Donner des informations basées sur les preuves, c’est donner aux parents la possibilité de faire des choix éclairés.
Pour cet article je parlerai de différentes thématiques afin d’illustrer les explications.
Quels sont les différents niveaux de preuve des études scientifiques ?
Selon la HAS: « Le niveau de preuve d’une étude caractérise la capacité de l’étude à répondre à la question posée ». La capacité d’une étude à répondre à la question posée est jugée notamment sur l’existence ou non de biais importants dans la réalisation ; la puissance de l’étude et en particulier la taille de l’échantillon.
La pyramide suivante illustre les niveaux de preuves de différentes publications scientifiques

Le niveau d’évidence est le niveau de confiance que l’on peut avoir dans les résultats d’une étude.
Par exemple, un rapport de cas, c’est à dire la description d’un ou plusieurs cas cliniques, est considéré de bas niveau de preuve.
Ex: un article scientifique rapporte le cas de 5 mères allaitantes qui ont bu une tisane galactogogue et qui ont tiré plus de lait=> c’est un bas niveau de preuve
Est-ce l’effet de la tisane?
Est-ce l’effet placebo? (Le fait de croire que la tisane va aider)
Est-ce l’évolution naturelle de la lactation? (Du fait du passage du temps)
Qui a financé l’étude : le fabricant de tisane ?( Biais de confirmation, conflit d’intérêt)
Quelle est vraiment l’effet observé: combien de ml de tirés en plus, et est-ce significatif?
Un essai clinique randomisé en double-aveugle au contraire est considéré comme un plus haut niveau de preuve, puisque l’on essaye d’éliminer des biais. Si on reprend le même exemple: on a deux groupes: un groupe de mamans avec la tisane supposée galactogogue et un groupe avec un placebo.
C’est en “double aveugle “ donc
La maman ne sait pas si elle a une tisane galactogogue ou une eau chaude aromatisée : on essaye de s’affranchir de l’effet placebo,
Les personnes qui lui donnent le produit et qui font l’analyse des données ne savent pas quel produit elle reçoit: le placebo ou la tisane étudiée -> Cela permet d'éviter que la connaissance du produit utilisé influence la mesure du critère de jugement ( biais de classement)
Mais à nouveau il y aura des limites:
quelle est la taille des groupes tisane et groupe placebo? Plus la taille de l’échantillon est élevée, plus la puissance statistique est importante
Les métanalyses et revues systématiques sont encore un niveau de preuve au-dessus: on rassemble plusieurs essais cliniques randomisés et on “poole” les résultats en essayant d’éliminer les biais.
Il y a également les revues Cochrane qui sont des revues systématiques de haut niveau.
Pour illustrer cet exemple, voici les conclusions d d’une revue Cochrane sur les galactogogues
En raison de données probantes extrêmement limitées et d’un niveau de confiance très faible, nous ne savons pas si les galactagogues ont un effet quelconque sur la proportion de mères qui ont continué à allaiter à 3, 4 et 6 mois. Il y a peu de données probantes indiquant que les galactagogues pharmacologiques puissent augmenter le volume du lait. Certaines analyses de sous‐groupes montrent que les galactagogues naturels peuvent avoir un effet bénéfique sur le poids des enfants et le volume du lait chez les mères d'enfants nés à terme et en bonne santé, mais en raison de l'hétérogénéité substantielle des études, de l'imprécision des mesures et des rapports incomplets, nous sommes très incertains de l'ampleur de l'effet.
Et enfin, il y a les Directives de Pratiques cliniques, ou conférences de consensus, émises par les sociétés savantes d’expert suite à l’analyse de toute la littérature scientifique pour donner une recommandation sur un thème donné. Toujours sur le thème des galactogogues , l’Academy of Breastfeeding medicine indique :”Bien que le fait que ces herbes soient utilisées depuis des siècles sans danger apparent soit rassurant, il existe peu ou pas de preuves scientifiques de leur efficacité ou de leur innocuité”.
Est ce que ça veut dire qu’il ne faut pas utiliser de galactogogue? en fait cela veut dire que l’on n’est pas sûre que cela soit efficace.
Lorsqu’une maman me demande ce que je préconise, je propose en priorité d’améliorer la fréquence des tétées (ou tirages) et la position au sein (ou la taille des téterelles) car l’efficacité de ces mesures pour améliorer la lactation est plus probable que celle des galactogogues.
2. Approche basée sur les preuves et allaitement. Si “il y a un faible niveau de preuve” ça veut dire quoi en pratique?
Lorsque l’on évalue une méthode de prise en charge en santé, si on dit qu'il y a un faible niveau de preuve cela ne veut pas forcément dire que la méthode évaluée fonctionne ou ne fonctionne pas. Cela veut dire que les scientifiques ne savent pas, n’ont pas prouvé l’efficacité de la méthode.
Peut être que la méthode est efficace .
Peut être que la méthode n’est pas efficace mais qu’il y a un effet placebo
Peut être que l’évolution naturelle de la pathologie allait vers l’amélioration.
Peut être que d’avoir été entendu, écoute, de manière empathique, a détendu le parent et a eu un impact sur le comportement du bébé ( car il y a une coregulation émotionnelle )
Alors dans le doute pourquoi ne pas essayer me direz-vous?
Et bien avant de se lancer il paraît important dans ce cas de s’intéresser aussi aux balances/ bénéfices risques et coût/efficacité, que nous envisagerons dans nos prochains articles.
Enfin, en cette période troublée où s’affrontent au niveau international des idéologies contraires, où les scientifiques sont malmenés …. Avoir une pratique basée sur les preuves semble d’autant plus important…. Informer les parents sur le niveau de preuve des études sur une thématique donnée n’a pas pour but de les culpabiliser ou de les empêcher de décider d’essayer telle ou telle prise en charge mais de leur permettre de prendre des décisions en toute connaissance de cause, sans culpabilisation.
Définitions
Une revue systématique vise à identifier, évaluer et synthétiser toutes les données empiriques répondant à des critères d'éligibilité prédéfinis pour répondre à une question de recherche spécifique. Les chercheurs qui effectuent des revues systématiques utilisent des méthodes explicites et systématiques, sélectionnées dans le but de minimiser les biais, afin de produire des résultats plus fiables et d'éclairer la prise de décision.
Une méta-analyse est une méthode scientifique systématique combinant les résultats d'une série d'études indépendantes sur un problème donné, selon un protocole reproductible. Plus spécifiquement, il s'agit d'une synthèse statistique des études incluses dans une revue systématique.
Un biais, peut être statistique, une erreur dans la méthodologie de l'étude ou encore cognitif, une distorsion dans le traitement puis l'analyse d'une information, consciente ou inconsciente.
Effet Placebo. l’Academie de médecine indique “ L’effet placebo avec attente est un phénomène neurobiologique scientifiquement établi, dont la réalité est attestée par des essais cliniques contrôlés, et les mécanismes éclairés par les neurosciences, notamment l’imagerie cérébrale. Il est prouvé que sa puissance dépend de l’attente du patient, de l’annonce qui lui est faite, et de ce qui lui est proposé (charisme du thérapeute, réputation de la méthode, complexité du dispositif). L’effet conditionnement est lié à la répétition d’expériences antérieures d’amélioration sous médicament actif, et dépend de structures cérébrales profondes comme l’amygdale cérébrale. Il est spécifique du symptôme traité et se reproduit sous placebo. Ces effets sont au cœur du ressenti bénéfique de l’acte d’homéopathie comme de tout acte thérapeutique bien mené, qu’il soit inclus ou non dans une thérapeutique complémentaire”.
Bibliographie:
HAS Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique 2013
ANSM nos missions https://ansm.sante.fr/qui-sommes-nous/nos-missions/assurer-la-securite-des-produits-de-sante/p/surveiller-les-medicaments
Foong et al.Cochrane review 2020. Des galactagogues oraux (thérapies ou médicaments naturels) pour augmenter la production de lait maternel chez les mères de nourrissons nés à terme non hospitalisés
Academy of Breastfeeding Medicine. ABM Clinical Protocol #9: Use of Galactogogues in Initiating or Augmenting Maternal Milk Production, Second Revision 2018. (Consulté le 03/12/2019).
communiqué de presse de l’Académie de Médecine sur l’homéopathie 2019
Colloque du 18/04/2025: Lutte contre l'obscurantisme et la désinformation en santé" . Ministère de la Santé.
Mots clés: Evidence-based Lactation Care, niveau de preuve, etude cas-témoin, etude randomisée, revue systématique et méta-analyse, revue Cochrane, galactogogues, galactogènes, production de lait, effet placebo